
Par: François L. Nadeau, instructeur de sauvetage en eau vive et en zone inondée, sauvetage sur glace et en eau froide et Westley Grenon, directeur des opérations.
Le 3 mai 2023, la vie de deux pompiers volontaires a été emportée par les eaux de la rivière du Gouffre lors d’une intervention en zone inondée. Cet événement tragique a également ravivé les souvenirs du décès du pompier Pierre Lacroix dans les rapides de Lachine à Montréal en 2021. Le constat est frappant, les trois plus récents décès par noyade en milieu de travail sont des pompiers et dans tous les cas, il s’agissait d’un contexte d’eau en mouvement.
L’enquête suivant l’événement de Charlevoix suit son cours, nous ne pouvons donc tirer de conclusions pour l’instant. Cependant, nous savons que les intervenants portaient leurs habits de combat incendie, un équipement de protection individuelle non adapté aux particularités des interventions nautiques. Nous avons déjà écrit sur le sujet dans un article publié à l’automne 2022 (Habit de combat et intervention nautique). De plus, il semble que plusieurs médias aient relevé que l’un des intervenants ne savait pas nager. Le rapport de la coroner Géhane Kamel mentionne que Pierre Lacroix n’avait pas suivi de formation pratique pour l’autosauvetage en eau vive.
Avant de parler de sauvetage en embarcation, de sauvetage en eau vive, de sauvetage en zone inondée, de sauvetage en eau froide ou encore de sauvetage sur glace, ne faudrait-il pas valider que les membres, ou membres éventuels, d’une équipe d’intervenants en sauvetage nautique aient des compétences de natation minimales pour assurer leur sécurité dans cet environnement?
Considérant les récents événements, il semble de plus en plus évident qu’une évaluation des aptitudes de base en natation soit essentielle.
L’évaluation des capacités fondamentales de natation avant de travailler dans un environnement à risque de noyade: une application réaliste et raisonnable de notre devoir de diligence.
La diligence raisonnable est le degré de jugement, de soins, de prudence, de fermeté et d’actions auquel on peut raisonnablement s’attendre d’une personne dans certaines circonstances.
Il semble évident qu’il serait raisonnable de valider les compétences de nage minimales des gens qui auront à effectuer des interventions dans un environnement à risque de noyade. Un intervenant d’urgence peut être appelé à tout moment à intervenir dans un contexte de travail à risque de noyade. Donc, une des mesures de contrôle et de prévention des plus raisonnables, qui devrait être mise en place pour assurer la santé, la sécurité et l’intégrité physique et psychique des intervenants est de s’assurer, préalablement à l’exécution de leur travail, qu’ils peuvent nager de façon autonome, en confiance et de façon contrôlée.
Environnement contrôlé vs non contrôlé
Il est évident que tous les travailleurs qui effectuent des opérations à proximité d’un plan d’eau ne peuvent pas tous passer par une évaluation des aptitudes de natation. Pour bon nombre de travailleurs, il est possible de travailler dans des environnements ou des mesures de contrôle sont mises en place par rapport au risque de chute à l’eau et par rapport au risque de noyade.
D’autre part, le principal enjeu pour les intervenants d’urgence est que ceux-ci devront opérer, la plupart du temps, dans des environnements non contrôlés et à risque de noyade. C’est-à-dire que des mesures de contrôle et de prévention ne peuvent pas être mises en place préalablement à l’exécution d’une intervention. Bien entendu, dans une intervention d’urgence, nous sommes souvent confrontés au facteur temps. Contrairement à un environnement de travail contrôlé, les sauveteurs ont très peu de temps pour se préparer, pour planifier et ne peuvent pas choisir le moment ou le lieu de l’intervention.
Cette réalité renforce le besoin de développement des connaissances et des compétences par l’entremise de formation ainsi que l’analyse approfondie du territoire et des conditions d’intervention anticipées. Un environnement non contrôlé implique un niveau de risque beaucoup plus élevé. Lorsque les risques sont élevés, il devient souvent nécessaire de prévoir des mesures de mitigation du risque supplémentaires qui vont au-delà de la tâche liée aux opérations de sauvetage. Notamment, la mise en place d’un programme de développement et de maintien des compétences fondamentales de natation.
La première étape vers l’autosauvetage
Avoir des aptitudes de nage minimales dans un environnement contrôlé est la première étape vers l’apprentissage de l’autosauvetage dans un environnement naturel et potentiellement dynamique. Il serait difficile de croire qu’une personne qui n’est pas en mesure de nager confortablement dans une piscine chaude, calme et dans de l’eau propre et limpide puisse nager en eau vive ou dans un contexte d’inondation par exemple.
L’importance de l’autosauvetage est l’un des éléments marquants du rapport de la coroner Me Géhane Kamel à la suite du décès de Pierre Lacroix. L’une des principales recommandations va en ce sens :
« S’assurer que le cursus de formation inclut les techniques de sauvetage, d’autosauvetage et de nage en eau vive et soit dispensé aux pompiers qui œuvrent dans une caserne nautique. »
– Me Géhane Kamel – extrait du rapport d’enquête concernant le décès de Pierre Lacroix.
Toutefois, avant de parler d’autosauvetage en eau vive, il est nécessaire d’assurer une approche progressive qui commence par la capacité à nager dans un environnement contrôlé, dans un léger courant, puis finalement, dans un contexte d’eau vive. Cette séquence de développement des compétences est essentielle afin d’assurer une progression adaptée et encadrée des intervenants. Ajoutons aussi que si l’intervention se produit dans une zone où il y a un risque réel de chute à l’eau, l’intervenant doit porter des équipements de protection individuelle adaptés et il doit bien connaître l’usage et les limitations des équipements en question (exigences XXVI.II RSST et NFPA 1006 et 2500). Pratiquer l’autosauvetage permet de bien comprendre les limitations de ses équipements de protection individuelle.
Comment peut-on valider les aptitudes de natation?
La mise en application d’une validation, d’un programme d’encadrement, de maintien et de développement des compétences de nage est assurément un dossier pouvant être approché de différentes façons. Bon nombre d’organisations ont rencontré des défis à ce niveau. La priorité de tout service d’urgence devrait être de veiller à la santé et la sécurité physique et psychique de tous ses travailleurs, et si cela nécessite une validation des compétences de natation, les parties prenantes des services d’urgence devraient mettre de l’avant des plans d’action qui sont propres aux réalités et exigences de leurs territoires. Ces plans d’action devront être faits en collaboration avec les parties prenantes, car l’objectif ultime est de veiller à la santé et à la sécurité des individus qui peuvent se retrouver à risque de noyade.
Depuis la mise en place de notre formation Sauvetage en eau vive et zone inondée de l’École nationale des pompiers du Québec, la réussite d’un test de natation est l’un des prérequis pour suivre cette formation. L’idée n’est pas d’éliminer des intervenants du processus de formation. Ceux qui rencontrent des difficultés pourront mieux cibler leurs faiblesses et travailler afin d’améliorer leurs aptitudes. Il en va de leur santé et de leur sécurité ainsi que celles de toute leur équipe. Bien entendu, différents seuils de performance ont été établis. Par exemple, une équipe de recherche et sauvetage en eau vive et zone inondée n’aura pas les mêmes seuils de performance à atteindre qu’une équipe de sauvetage nautique ou sauvetage sur glace sur un plan d’eau intérieur. Il n’est pas nécessaire d’être un champion de natation, l’objectif demeure toujours d’assurer la santé et la sécurité des intervenants. L’équipe de SIFA a donc conçu un test qui met de l’avant les aptitudes qui seront éventuellement nécessaires pour la réalisation de l’autosauvetage dans l’environnement naturel et potentiellement dynamique.
N’oublions pas que l’autosauvetage est la base à maîtriser pour les intervenants nautiques.
Apprenez en plus sur notre évaluation des aptitudes de natation.