Démonstration d'un sauvetage sur glace avec un pic 45 par l'équipe de sauveteurs de SIFA

Par: François L. Nadeau, instructeur sauvetage en eau vive et en zone inondée, sauvetage sur glace et en eau froide et sauvetage nautique.

Au Québec, il serait possible de dire que le sauvetage sur glace est une forme de religion dans les services d’urgence. Avec raison, il s’agit de l’une des belles spécialités que nous avons l’opportunité de développer considérant le nombre important d’activités qui se déroulent en présence de glace sur notre territoire. Cette spécialité soulève souvent les passions, autant pour les équipements que pour les techniques qui y sont associées. Nous nous sommes déjà penchés sur la question des EPI pour le sauvetage sur glace avec notre article : Les « habits de survie en eau froide » sont-ils le meilleur EPI pour le sauvetage sur glace ? Dans le présent article, nous traiterons d’un autre « intouchable » associé au sauvetage sur glace, soit la technique du pic 45!

Le pic 45 : cette technique consiste généralement en une approche à deux intervenants. Un premier sauveteur approche la victime en aval avec un angle de 45 degrés. À partir d’environ 20 pieds de la victime, le sauveteur rampe pour aller faire contact avec elle. Une fois le contact établi, à la suite du signal du premier sauveteur, un second sauveteur approche la victime en amont avec un angle de 45 degrés également. Une fois que les deux sauveteurs ont établi le contact, ceux-ci hissent la victime hors de l’eau sous la séquence : Pic : piquer le pic à glace à distance de l’eau / 45 : se repositionner à 45 degrés / Tir : tirer la victime hors de l’eau et sur la glace.

Les origines de la technique du pic 45 sont un peu floues. Vraisemblablement, cette technique s’inspire d’abord des méthodes utilisées pour le sauvetage en crevasse dans le domaine de l’alpinisme, puis du sauvetage sur glace dans l’Arctique. C’est donc dire qu’elle provient de pratiques et de connaissances associées à de la glace très épaisse. Elle s’est ensuite insérée dans les enseignements pour le sauvetage sur glace au Québec et ailleurs, jusqu’à devenir la technique la plus répandue. Dans un contexte de pratique, cette technique est souvent extrêmement efficace. Cependant, dans les spécialités nautiques, nous avons souvent le mauvais réflexe de considérer notre contexte de pratique comme étant un bon reflet du contexte d’intervention réel, mais est-ce vraiment le cas? La plupart du temps, on constate que les pratiques de sauvetage sur glace ont lieu au milieu de l’hiver lorsque la glace a déjà atteint une certaine épaisseur. Appliquer des recettes ou méthodes préconçues vues en contexte de pratique lors d’interventions peut être dangereux. Dans un contexte d’intervention réel, si une victime se retrouve à l’eau, c’est sans doute parce que la glace est mince.

Depuis le début de l’hiver 2023-2024, il y a eu sept noyades au pays associées à de la glace trop mince pour s’y aventurer. Selon la Croix-Rouge, dans les cas de noyades hivernales lors d’activités non motorisées, la glace mince est le facteur le plus fréquent (57 %), suivie des trous découverts dans la glace (21 %), de la glace fissurée (8 %) et de la glace flottante (8 %).

Environ, le tiers des victimes sont décédées dans des événements à victimes multiples. Nous pouvons présumer que ces décès sont attribuables à des tentatives de sauvetage qui se sont soldées par une seconde rupture de la glace entraînant ainsi deux victimes ou plus à l’eau.

En bref, si une victime se retrouve à l’eau à la suite d’une rupture de la glace, c’est bien entendu parce que celle-ci est mince et ne peut supporter une personne. Alors, pourquoi envoyer deux intervenants dans une zone qui ne peut supporter une seule personne? Il n’est pas très logique de mettre le poids de deux intervenants, même à plat ventre, sur une glace que nous savons extrêmement précaire. Cette glace sur laquelle la victime se tient représente son seul support et son seul moyen de maintenir ses voies respiratoires hors de l’eau, alors pourquoi compromettre ce support? Faire approcher un seul sauveteur représente déjà un risque. Si l’on parle d’un contexte d’eau en mouvement, approcher avec un second sauveteur par l’amont pourrait d’autant plus créer une rupture et faire en sorte que la victime se fasse emporter par le courant.

Alors, contrairement aux contextes de pratique, dans une intervention réelle, il est plus que probable que la glace ne puisse supporter suffisamment pour que le traditionnel pic 45 à deux intervenants soit une technique efficace et sécuritaire. Dans une optique de santé et de sécurité pour nos intervenants, ne serait-il pas plus favorable de limiter le plus possible le nombre de personnes dans la zone chaude? La plupart du temps, il n’est pas nécessaire d’être deux pour arriver à sortir la personne de l’eau. Il existe de bonnes techniques simples, rapides et sécuritaires où un seul intervenant assisté par son assureur peut arriver à récupérer une victime. Notre formation Sauvetage sur glace et en eau froide met de l’avant des techniques modernes et efficaces, basées sur la réalité des interventions et misant sur la santé et la sécurité des intervenants.

Il sera toujours pertinent de connaître des techniques comme le pic 45. L’avoir dans son coffre à outils pourrait faire la différence un jour si une situation de glace plus épaisse se présente. Cependant, la logique veut que l’on se tourne de plus en plus vers des techniques à un seul sauveteur dans la zone chaude pour les contextes de glace mince avec une équipe d’intervention rapide à proximité en mesure d’assister à la stabilisation et à l’évacuation de la victime. Chaque situation de sauvetage est unique, il faut voir le sauvetage sur glace dans une optique beaucoup plus large. Il serait possible de dire qu’il s’agit plutôt de sauvetage nautique avec présence de glace nécessitant une analyse, une approche, une exécution qui est adaptée aux besoins de la situation. Il faut éviter les recettes toutes faites. Plusieurs méthodes de sauvetage peuvent être adéquates, mais il faut développer son jugement et se poser les bonnes questions.